Dans le billet précédent, on a clarifié comment définir un objectif de ventes et marketing qui donne une direction précise pour l’année. La question suivante s’impose naturellement : dans quels marchés allez-vous concrètement réaliser ces objectifs? C’est un choix qui semble simple, mais qui influence tout : votre prospection, vos campagnes, vos investissements, votre développement de produits et même la structure de votre pipeline. Pour une PME manufacturière, bien choisir ses marchés n’est pas un luxe. C’est un levier de croissance.
La méthode la plus rentable consiste à appliquer une logique de divide and conquer. Plutôt que de viser trop large, on découpe le marché en trois niveaux : d’abord la géographie, ensuite les industries, puis les sous-segments à plus forte valeur. Ce découpage simplifie les décisions, réduit la dispersion et augmente la portée réelle de chaque action commerciale et marketing.
1. Pourquoi choisir ses marchés avant de foncer
Quand l’équipe essaie de couvrir trop de territoires et trop d’industries en même temps, on observe presque toujours les mêmes symptômes : messages trop génériques, prospection inefficace, pipeline rempli d’opportunités qui n’aboutiront jamais, et une impression constante de travailler fort sans avancer. À l’inverse, une entreprise qui choisit clairement où jouer concentre ses efforts sur les zones à fort potentiel et améliore immédiatement la qualité des conversations de vente.
Au Canada, plusieurs organisations comme Manufacturiers et Exportateurs du Canada rappellent que la croissance durable passe par une stratégie de marché claire, fondée sur une compréhension structurée des territoires et des industries prioritaires. Leur rapport annuel souligne qu’un des grands défis des PME manufacturières est justement la dispersion géographique et commerciale, qui dilue les efforts et retarde la croissance.
Ce que nous constatons sur le terrain va exactement dans ce sens : lorsqu’une PME identifie de façon précise où elle veut gagner, tout le reste s’aligne beaucoup plus facilement.
2. Premier niveau : choisir ses marchés géographiques
Pour une PME manufacturière québécoise, la géographie n’est pas un détail. Elle influence la logistique, la réglementation, la proximité avec les clients, les coûts, la concurrence et même le cycle de vente. Le Québec et l’Ontario sont souvent des terrains naturels. Le reste du Canada peut demander des ajustements. Les États-Unis offrent un bassin gigantesque, mais les risques tarifaires et politiques exigent une planification rigoureuse. L’Europe, l’Asie-Pacifique et d’autres régions deviennent de plus en plus attrayantes, surtout pour diversifier les revenus.
Ce contexte est encore plus pertinent depuis que le Canada dispose d’accords commerciaux donnant accès à plus de 1,5 milliard de consommateurs dans plus de 50 pays, incluant l’Europe (AECG), l’Asie-Pacifique (PTPGP) et l’Amérique latine. Ces accords réduisent les barrières, simplifient les règles d’origine et facilitent l’accès à des marchés où la qualité et l’innovation canadiennes sont recherchées.
Pour choisir vos marchés géographiques prioritaires, quelques critères simples suffisent :
- Potentiel de marché. Nombre d’entreprises, volume d’activité et demande prévisible dans votre catégorie de produits.
- Facilité d’accès. Normes locales, exigences techniques, distance, langue, modes de transport, délais.
- Intensité concurrentielle. Acteurs locaux bien établis, droits de douane, substitution, barrières à l’entrée.
- Risques externes. Tarifs, instabilité politique, fragilité des chaînes logistiques, dépendance à un seul marché.
L’objectif n’est jamais de viser cinq territoires à la fois. Il s’agit plutôt d’en sélectionner un ou deux pour les douze à vingt-quatre prochains mois, de les développer à fond, puis d’étendre progressivement votre portée lorsque vous avez construit une présence solide.
3. Deuxième niveau : choisir ses segments sectoriels
Une fois la géographie clarifiée, on peut s’attaquer à la deuxième couche : quelles industries sont réellement les meilleures cibles pour votre produit? Les manufacturiers savent bien que chaque secteur a ses contraintes : certification, tolérances, sécurité, hygiène, documentation, cycles d’investissement. C’est pourquoi la segmentation sectorielle est si puissante.
Statistique Canada offre une base solide pour cette analyse grâce à la classification des industries par codes SCIAN (Système de classification des industries de l’Amérique du Nord). Ces codes permettent de regrouper les entreprises qui ont des besoins similaires et des comportements d’achat comparables.
Pour choisir vos segments sectoriels prioritaires, une approche simple consiste à évaluer chaque industrie selon deux dimensions :
- Attrait du secteur. Taille, croissance, stabilité, compétitivité, exigences techniques, potentiel de marge.
- Force de votre entreprise dans ce secteur. Références, différenciateurs, expertise, adaptation de votre offre, capacité opérationnelle.
Ce type de grille, inspirée des modèles utilisés par plusieurs organisations économiques canadiennes, aide à faire émerger deux ou trois secteurs où vous pouvez obtenir un impact maximal. C’est aussi la meilleure manière d’éviter de dissiper vos ressources dans trop d’industries différentes.
4. Troisième niveau : cibler les sous-segments à haute valeur
Même dans un secteur précis, toutes les entreprises ne se valent pas. Certaines ont un besoin urgent que vous pouvez résoudre maintenant; d’autres n’ont ni le budget ni l’intérêt. Certaines sont très matures techniquement; d’autres ont encore un modèle d’opérations manuel. Certaines utilisent votre type de produit au cœur de leurs opérations; d’autres seulement en périphérie.
En affinant vos cibles à un troisième niveau, vous augmentez la pertinence et réduisez les pertes de temps. Les sous-segments peuvent être définis selon :
- La taille de l’entreprise. Petite, moyenne, grande, groupe intégré.
- La maturité technologique. Niveau d’automatisation, systèmes en place, culture d’innovation.
- Le niveau d’urgence. Problèmes récurrents, contraintes réglementaires, enjeux de capacité.
- L’usage réel de votre solution. Production, maintenance, projet ponctuel, transformation.
Cette segmentation fine reflète une idée essentielle que souligne régulièrement Exportation et Développement Canada (EDC) : les exportateurs les plus performants sont ceux qui concentrent leurs efforts sur des segments où ils ont une valeur distincte, et non dans des marchés où ils « pourraient » vendre.
5. Mettre ensemble les trois niveaux : une méthode claire et pragmatique
Lorsque les trois niveaux sont alignés – la géographie, les segments sectoriels et les sous-segments à haute valeur – votre plan commercial devient plus cohérent et plus simple à exécuter. Vous ne travaillez plus sur une liste interminable de prospects disparates, mais sur une série de marchés choisis pour leur potentiel réel et pour votre capacité d’y gagner.
Cette approche réduit l’incertitude, renforce la confiance de l’équipe de vente, améliore la pertinence du marketing, et augmente la vitesse à laquelle vous débloquez des opportunités. Elle reflète également une réalité documentée dans plusieurs rapports canadiens sur la performance manufacturière : la spécialisation commerciale et géographique est l’un des meilleurs prédicteurs de croissance durable.

