Déléguer entièrement = dépendance. Coconstruire = appropriation durable.
Dans beaucoup de PME manufacturières au Québec, la réflexion stratégique est encore perçue comme un exercice qu’on peut confier à un consultant, à un comité restreint ou à un directeur. Le président garde un œil sur le processus, valide le plan, puis passe à autre chose. Sur papier, tout semble cohérent. Dans la réalité, rien ne change.
Ce n’est pas un manque de compétence, mais une erreur de posture. Déléguer la stratégie, c’est abdiquer la réflexion qui devrait animer le leadership. C’est aussi créer une dépendance: si la direction n’incarne pas la stratégie, personne d’autre ne le fera. À l’inverse, coconstruire la réflexion stratégique avec les équipes permet de créer une appropriation durable. Quand les employés participent à définir le cap, ils en deviennent naturellement les porteurs et les exécutants.
Pourquoi la stratégie meurt sur le papier quand elle est isolée
Un plan conçu en vase clos n’a pas de racines. Les employés n’y voient pas leur réalité ni leur rôle; les gestionnaires intermédiaires, eux, doivent traduire un plan qu’ils n’ont pas contribué à bâtir. Résultat: le plan reste une vitrine théorique.
Quand tu ouvres la réflexion stratégique à différents niveaux de l’organisation, tu transformes un exercice de direction en démarche collective. La production, la qualité, la logistique, les ventes et le service client apportent une perspective terrain essentielle: les contraintes réelles, les frictions quotidiennes et les opportunités d’amélioration. Cela rend le plan plus concret et plus exécutable.
C’est d’ailleurs ce qu’on observe dans les entreprises performantes: selon McKinsey, celles qui impliquent activement leurs employés dans la formulation et la mise en œuvre de la stratégie ont près de deux fois plus de chances de dépasser leurs concurrents (McKinsey & Company – how_to_beat_the_transformation_odds). Autrement dit, plus la réflexion est partagée, plus l’exécution est fluide.
Coconstruire n’est pas faire de la démocratie, c’est créer de la responsabilité
Certains dirigeants craignent que coconstruire dilue l’autorité ou ralentisse la prise de décision. C’est l’inverse. Coconstruire, ce n’est pas voter sur tout, c’est élargir la vision.
Les employés de première ligne voient souvent ce que la direction ne voit pas: une demande client qui change, un procédé inefficace, une opportunité d’automatisation. Les intégrer à la réflexion, c’est transformer ces signaux faibles en décisions éclairées.
C’est exactement la logique défendue dans le concept du duo Visionnaire–Intégrateur de Rocket Fuel (Mark C. Winters). Le Visionnaire garde la direction, l’Intégrateur orchestre la cadence et fait en sorte que le plan avance concrètement. Ensemble, ils relient la vision stratégique à l’action terrain.
Deux muscles à entraîner: réflexion stratégique et plan d’exécution
Une stratégie durable repose sur deux dynamiques complémentaires:
- Réflexion stratégique (thinking): clarifier où jouer et comment gagner, formuler les choix et les renoncements.
- Plan d’exécution (doing): transformer ces choix en actions, assigner les rôles, fixer les indicateurs et la cadence.
Verne Harnish, dans Scaling Up, résume bien cette mécanique: l’alignement entre vision, priorités et rythme d’exécution est le cœur du management. Sans cet alignement, les organisations multiplient les initiatives, diluent leurs efforts et s’épuisent dans la complexité.
La co-construction te permet de renforcer cet alignement. Tu restes maître de la direction, mais tu délègues la définition des moyens à ceux qui devront livrer. Cela relie directement la réflexion à la réalité du terrain.
Les bénéfices concrets d’une réflexion stratégique co-construite
1. Appropriation durable
Quand les équipes contribuent à la réflexion, elles comprennent le pourquoi derrière les priorités. Elles voient le lien entre leurs actions quotidiennes et les objectifs d’affaires. Ce n’est plus un plan imposé, mais un plan incarné.
2. Mobilisation réelle
L’engagement ne se décrète pas, il se construit. Participer à la réflexion stratégique suscite un sentiment d’appartenance et de fierté. Les employés se sentent utiles, entendus, et responsables des résultats. Cette mobilisation, fondée sur la participation, tient dans le temps, contrairement aux incitatifs ponctuels.
3. Exécution plus fluide
Impliquer le terrain permet d’anticiper les goulots, les interdépendances et les ressources nécessaires. Les priorités deviennent claires, les frictions diminuent. On passe d’un plan abstrait à une feuille de route concrète et réaliste.
Ces bénéfices ne sont pas que théoriques. Une étude interne de McKinsey montre que les entreprises qui structurent leur exécution autour d’équipes autonomes et engagées atteignent leurs objectifs 1,8 fois plus souvent que les autres (McKinsey Global Survey on transformations).
Comment coconstruire sans alourdir la machine
1. Cadrer vite le cap
Réunis la direction et quelques leaders clés. En deux rencontres de deux heures, clarifie les trois enjeux prioritaires pour les 12 à 24 prochains mois. Décide des trois à cinq choix structurants: où investir ton énergie, et ce que tu dois cesser. Formule aussi un énoncé de valeur testable qui relie stratégie et marché.
2. Faire remonter la réalité terrain
Organise des ateliers fonctionnels courts: production, qualité, logistique, ventes, service. Pose la question simple: « Qu’est-ce qui freine ou accélère notre progression vers nos objectifs? » Tu verras émerger des patterns clairs. Ce processus donne de la crédibilité à la réflexion et renforce la pertinence des décisions.
Cette approche reprend la logique du management adaptatif développée par Henry Mintzberg: la stratégie se façonne par apprentissage, à partir du terrain, et non uniquement dans les bureaux. Mintzberg appelle cela le crafting de la stratégie (Mintzberg, Crafting Strategy, 1987).
3. Prioriser peu, mais fort
Évite la liste de 25 projets. Sélectionne 5 à 7 initiatives vraiment critiques. Pour chacune: un objectif clair, un responsable, des livrables mesurables et un horizon réaliste. Le but est d’obtenir des gains rapides qui bâtissent la confiance.
4.Installer une gouvernance simple et rigoureuse
- Hebdomadaire (30 min): résoudre les bloquants, ajuster les priorités immédiates.
- Mensuelle (60 min): suivre l’avancement, réallouer les ressources si nécessaire.
- Trimestrielle (2 h): ajuster la stratégie, arrêter ce qui n’apporte plus de valeur, et recentrer sur les objectifs essentiels.
Cette routine crée la discipline d’exécution. C’est elle qui transforme la stratégie en réflexe collectif.
5. Transformer l’apprentissage en décisions
Chaque trimestre, tire 2 ou 3 apprentissages terrain et transforme-les en choix concrets: modifier un segment de clientèle cible, revoir une offre, automatiser un poste, ou simplifier un processus. Cette boucle d’amélioration continue garde la stratégie vivante et connectée au marché.
Le vrai piège: déléguer et récolter un plan parfait, mais inutilisé
Confier la réflexion stratégique à des consultants ou à un comité restreint donne souvent l’illusion du progrès: un plan parfait, des graphiques impeccables, des recommandations bien écrites. Mais sans leadership incarné et appropriation interne, ces plans finissent sur une tablette.
C’est précisément ce que Verne Harnish souligne dans Scaling Up : l’alignement entre la vision, les priorités et la cadence d’exécution ne peut pas être délégué. Il doit être orchestré au sommet et nourri par la participation active de ceux qui livrent au quotidien.
Et comme le montre le duo Visionnaire–Intégrateur de Rocket Fuel, la clé est dans la complémentarité entre ceux qui inspirent la direction et ceux qui assurent la rigueur de l’exécution. Une stratégie pensée collectivement, dirigée fermement et exécutée avec discipline devient un véritable levier de croissance.
6. En bref
La stratégie n’est pas un rapport; c’est un muscle collectif. Déléguer, c’est espérer que quelqu’un d’autre pensera à ta place. Coconstruire, c’est bâtir une intelligence d’équipe capable de penser et d’agir ensemble. C’est ce qui transforme une PME en organisation apprenante, capable de s’adapter, d’innover et de croître.
Ton avantage durable ne se trouve pas dans un document, mais dans une équipe qui comprend le cap, y croit et se sent responsable de la réussite.
Pour approfondir la mécanique Vision–Exécution et la discipline d’alignement, explore Rocket Fuel et Scaling Up. Ces cadres, combinés à la logique d’apprentissage continu de Mintzberg, offrent une fondation solide pour bâtir des stratégies vivantes et durables.
